Que deviennent les particules lors d'événements climatiques extrêmes dans le Golfe du Lion ?

La revue Aktis de l'IRSN présente ce trimestre un focus sur l'ANR Extrema. J'ai effectué un suivi des dunes dans le Grand Rhône dans le cadre de cette ANR et j'ai également travaillé sur le stockage sédimentaire sur les berges et dans les aménagements

 
 
Que deviennent les particules lors d'événements climatiques extrêmes dans le Golfe du Lion ?












Vue bathymétrique (mesure des profondeurs) de l'embouchure du Rhône, réalisées les 2-3-4 mai 2008 avant la crue de la Durance de 2008 (28 mai au 6 juin) réalisée pour l'IRSN par la société Semantic, dans la zone de 0 à 45 m. Cet heureux hasard a permis de Le colloque de restitution finale du programme Extrema a eu lieu les 4 et 5 mai 2011 à Cadarache (Bouches du Rhône). Démarré en 2007 sur un appel à projets de l'Agence nationale de la recherche (ANR) et soutenu par deux pôles de compétitivité, ce programme avait pour but d'étudier les processus climatiques extrêmes qui génèrent des flux de sédiments ainsi que leur impact sur la redistribution de polluants au sein des différents compartiments de la géosphère. Principalement axé sur la quantification et sur la modélisation, ce travail devrait permettre d'évaluer la vulnérabilité de l'environnement aux aléas climatiques au cours des vingt à trente prochaines années.
Le programme Extrema s'est déroulé entre janvier 2007 et juin 2011. Objectif : évaluer les conséquences des événements météo-climatiques extrêmes, comme les crues et les tempêtes, sur la redistribution des sédiments et des polluants stockés dans les différents compartiments de l'environnement. En effet, ces événements libèrent une très forte énergie capable de déplacer des masses importantes de sédiments sur des échelles de temps relativement brèves. Complétant d'autres programmes en cours ou antérieurs, le programme Extrema a étudié le devenir des éléments traces potentiellement contaminants, tels que les polluants radioactifs artificiels (comme le césium-137) et certains contaminants métalliques stables connus pour leur forte toxicité chimique (Cu, Pb, Cd et Hg). Tous les compartiments de l'environnement - atmosphère, fleuves, milieu marin côtier, milieu marin profond - ont fait l'objet d'une analyse approfondie. Cette étude de grande envergure sur le Golfe du Lion a pu être réalisée grâce à l'implication de nombreux organismes de recherche.



[ Un programme d'acquisition de données ]

La mission des chercheurs reposait sur deux grands axes. Le premier consistait en l'observation des flux d'eau, de matière et de polluants afin de les quantifier et d'identifier les principaux événements contribuant à ces flux. Pour cela, de nombreuses données ont été collectées au sein des différents compartiments de l'environnement, en particulier lors des épisodes météo-climatiques de grande amplitude, à l'aide de stations de prélèvements et de mesures positionnées en des points stratégiques dans le Golfe du Lion. Ces données ont également servi le second axe de recherche, à savoir la modélisation. Elles ont permis de développer ou de valider des modèles représentant les transferts de matière charriée par l'eau depuis la zone côtière jusqu'à la pente située au bord du plateau continental, et, in fine, de faire des simulations sur plusieurs années.
Le projet Extrema était ciblé sur la zone englobant le Rhône aval et la Têt, le plateau continental du Golfe du Lion et jusqu’aux canyons du milieu marin profond. La carte représente les points d’analyse et de prélèvement de l’ensemble du projet.

[ Des fleuves à la mer ]


Les observations indiquent que les fleuves côtiers du sud de la France ont actuellement tendance à apporter moins de sédiments à la mer Méditerranée qu'auparavant ; elles ont aussi mis en évidence que ces apports sédimentaires, vecteurs de contaminants, varient beaucoup d'une année sur l'autre. Durant les années humides et « riches » en crues, les petits fleuves côtiers peuvent apporter à la mer la même quantité de sédiments que le Rhône. Pendant les années sèches, leur contribution aux apports totaux peut tomber en dessous de 1 %. Le Rhône a quant à lui été plus spécifiquement observé entre 2006 et 2010 : les flux de radionucléides artificiels ou naturels transportés par le fleuve ont été mesurés tous les mois par la Station observatoire du Rhône à Arles (Sora). Le but ? enregistrer les variations au cours d'une année et d'une année à l'autre, et préciser l'impact des événements extrêmes sur les flux de matières et de contaminants associés.
Vue bathymétrique (mesure des profondeurs) de l’embouchure du Rhône, réalisée les 2-3-4 mai 2008 avant la crue de la Durance de 2008 (28 mai au 6 juin) pour l’IRSN par la société Semantic, dans la zone de 0 à 45 m. Cet heureux hasard a permis de disposer d’un état des lieux juste avant la crue et de mieux l’analyser.

[ 90 % des flux de matière exportés en quelques jours par an ]


Les observations ont permis d'évaluer les quantités de radioactivité transportées vers le milieu marin en phase particulaire, c'est-à-dire issue des sédiments, sachant que les déplacements de sédiments sont bien entendu fortement dépendants des crues. Les relevés ont montré qu'entre 2006 et 2010, les crues du Rhône sont responsables de près de 50 % des transports annuels de particules radioactives. Certaines crues, peu nombreuses sur la période d'étude, peuvent engendrer jusqu'à 90 % du flux de matière en seulement quelques jours. L'influence des « crues semi anthropiques » consécutives à des lâchers de barrages, jusqu'alors méconnue, a en outre été mise en évidence. Ces épisodes se caractérisent par de fortes quantités de matière en suspension dans l'eau qui sont transférées ensuite au milieu marin. Les résultats ont pointé les limites des modèles empiriques de flux de matière qui sont établis essentiellement sur l'hydrologie ainsi que la nécessité de prendre en compte l'impact des activités humaines sur le fleuve.

Trois vues de la Station observatoire du Rhône à Arles (Sora), en période de crue en décembre 2003 (10050 m3 s-1) et en novembre 2002 (8010 m3 s-1) et en période de calme hydrologique. Les prélèvements d’eau sont réalisés à 50 cm sous la surface de l’eau, quel que soit le débit du fleuve, grâce à une pompe immergée et un flotteur (triangle blanc juste en amont de la bouée de signalisation rouge et blanche) relié à la station par un bras articulé. La station relève en continu 3 m3 d’eau par heure afin d’alimenter un circuit ouvert d’alimentation et les différents points des collecte des échantillons.

Dans le compartiment atmosphérique, le programme Extrema a aussi montré que les nuages de particules, qu'il s'agisse de poussières sahariennes marquées par les essais nucléaires réalisés à l'échelle planétaire ou d'aérosols issus d'incendies de forêt en Europe de l'est, maintiennent la présence de traces de radionucléides dans l'air (voir Aktis n°5).


[ Remobilisés par la crue ]


En ce qui concerne les Éléments traces métalliques (ETM) comme le cuivre, zinc ou encore le plomb, les chercheurs ont mesuré les variations de teneur ou concentration lors d'une crue. Dans le cas de la Têt, l'un des fleuves côtiers, les ETM sont présents en forte concentration dans les matières en suspension au début de la crue, c'est-à-dire au moment du lessivage des sols soumis aux activités humaines. Ensuite, leur concentration diminue rapidement avec l'augmentation du débit du fleuve et l'érosion des sols plus profonds où la concentration en ETM est moindre. Ce résultat confirme que les mesures réalisées pendant les crues permettent de déterminer « le bruit de fond géochimique », cette valeur de référence d'une zone géographique incontournable pour démontrer l'existence d'une pollution d'origine humaine.


Que deviennent les particules lors d'événements climatiques extrêmes dans le Golfe du Lion ?[ Depuis le début de l'ère industrielle ]

En milieu marin, il était important de connaître l'état des stocks sédimentaires et l'histoire de leur évolution sur les cinquante dernières années, pour comprendre les événements actuels et asseoir la modélisation. L'histoire des apports à la mer de métaux utilisés dans l'industrie (comme le mercure) a été reconstituée à l'aide de carottes sédimentaires prélevées dans le pro-deltaGLO du Rhône. Ainsi, la concentration en mercure dans les particules déposées dans cette zone a augmenté depuis le début de l'ère industrielle (moitié du XIXème siècle) pour arriver à un pic dans les années 1960, égalant à 15 fois les concentrations pré-industrielles. Puis, elle a diminué, en suivant l'évolution de la consommation de charbon en France. Aujourd'hui elle est encore 4 fois supérieure aux concentrations pré-industrielles. Des observations similaires ont été faites à 3000 m de profondeur au large, au bord du plateau continental du Golfe du Lion.


[ De l'influence des installations nucléaires ]


Les chercheurs ont aussi analysé le devenir des radionucléides dans le delta du Rhône. En étudiant les sédiments accumulés dans les berges du fleuve, ils ont retrouvé la trace et la chronologie des rejets de l'industrie nucléaire rhodanienne à partir du milieu du XXème siècle. L'historique des rejets de l'installation nucléaire de Marcoule dans le Rhône étant par ailleurs connu, cette analyse sédimentaire a permis d'une part, de déterminer les taux de sédimentation dans ces milieux, et d'autre part, de comprendre les variations observées des taux de sédimentation et des teneurs en radionucléides d'un point à un autre du delta. Ces variations s'expliquent par les transformations naturelles du fleuve. Ainsi, en bordure de mer, les berges deltaïques ne comportent pas de radionucléides parce qu'elles se sont formées avant l'implantation de l'industrie nucléaire. En revanche, les berges situées plus en amont construites depuis moins de cinquante ans, peuvent contenir des radionucléides artificiels. Les teneurs varient essentiellement avec l'histoire de l'approfondissement du chenal, du déplacement des sédiments par les crues et des rejets des installations nucléaires du Rhône.
Modélisation hydrosédimentaire du Golfe du Lion à l’aide du modèle Symphonie (LA Toulouse) qui illustre l'impact sur le remaniement sédimentaire des variations interannuelles des événements météorologiques importants. Les valeurs positives (en mètres) indiquent les zones de dépôts, les valeurs négatives indiquent les zones d’érosion. À gauche, le bilan de l'hiver 2003-2004, qui a été marqué par des crues et des tempêtes intenses : l'érosion domine sur le plateau (ouest du Rhône et sud-ouest à la sortie du Golfe du Lion) et les dépôts sur la pente continentale (sortie sud-ouest du Golfe). À droite, le bilan de l'hiver 2004-2005, marqué par des épisodes de vent continental fort (Mistral et Tramontane) qui induisent la densification des eaux côtières. Ceci se traduit par des érosions importantes dans les canyons, voies préférentielles de plongée d'eau dense.
De manière générale, le changement climatique amplifie la saisonnalité, occasionnant des sécheresses plus marquées ou des incendies plus fréquents mais aussi des crues plus intenses... Le programme Extrema a contribué à quantifier et à modéliser quelques-unes des conséquences de ce changement désormais avéré.

CollaborationCentre de formation et de recherche sur l'environnement marin (Cefrem) ; Centre européen de recherche et d'enseignement des géosciences de l'environnement (Cerege) ; Ifremer/Laboratoire environnement ressources Provence Azur Corse (LER-PAC) ; Ifremer/Laboratoire environnement profond (EEP/LEP) ; Pôle d'Océanographie côtière de l'Observatoire Midi-Pyrénées. Laboratoire d'aérologie (LA Toulouse).
Contact :
Frédérique Eyrolle
(Laboratoire d'étude radioécologique en milieu continental et marin - LERCM)

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